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Ronald Cohen: « Mesurons l’impact comme on mesure les profits »

© Roy Bar,  lecho.be

Promoteur des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) au sein des entreprises, Ronald Cohen donne de nouvelles pistes, dans son dernier ouvrage, « Impact », pour intégrer les principes philanthropiques au cœur des modèles économiques des entreprises.

Fondateur d’Apax Partners, qu’il a dirigé pendant plus de trois décennies, Ronald Cohen a été l’un des pionniers du capital-risque. Depuis vingt ans, il est devenu l’une des personnalités les plus actives dans la promotion des critères ESG. Il est notamment le président du Global Steering Group for Impact Investment et de la Impact-Weighted Accounts Initiative (IWAI) de la Harvard Business School.

Vous avez fondé et dirigé Apax Partners pendant 33 ans. À quand remonte votre prise de conscience des limites du capitalisme?

À la fin des années 1990, j’ai commencé à voir que ce que j’avais espéré réussir avec Apax n’était plus possible.Il était devenu plus difficile de donner à des individus d’origines modestes des opportunités égales pour créer des entreprises et de la richesse. Le fossé entre les entrepreneurs qui disposaient de fortunes massives et ceux qui n’avaient pas des moyens similaires ou des niveaux de formation suffisants ne cessait de se creuser. En 1998, j’ai donc dit à mon associé que j’allais progressivement me retirer d’Apax pour me consacrer pleinement aux questions sociales.

Vos initiatives dans l’impact social ont influencé beaucoup de programmes depuis…

Dès 2000, j’ai en effet été contacté par le Trésor britannique, qui m’a encouragé à développer mes initiatives, avec la création de la Social Investment Task Force. Tout l’enjeu était de réussir àaborder la question de la pauvreté avec un regard plus entrepreneurial, d’analyser comment l’État et la philanthropie laissaient de côté tant de gens. Cela m’a mené à une réflexion sur la meilleure façon d’orienter les investissements vers ceux qui veulent améliorer des vies humaines.

Nous avons mis en place les contrats à impact social (CIS), qui ont permis pour la première fois de récompenser les investisseurs en fonction des résultats sociaux obtenus

Et c’est ainsi que nous avons mis en place lescontrats à impact social (CIS), qui ont permispour la première fois de récompenser les investisseurs en fonction des résultats sociaux obtenus, en l’occurrence la réinsertion des prisonniers de Peterborough. Nous sommes progressivement passés du risque-rendement aurisque-rendement-impact. Cette nouvelle donne a commencé à impacter les économies, avec des exigences de plus en plus fortes en termes de transparence, afin de mesurer l’impact des sociétés aussi facilement que les profits. Depuis 2014, la création du Global Steering Group, qui est maintenant présent dans 33 pays, a commencé à imposer cette révolution du risque-rendement-impact.

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Le monde de l’entreprise a beaucoup évolué ces dernières années, mais cette notion d’impact est-elle désormais bien intégrée?

J’ai écrit ce livre parce qu’il me semble que c’est la période idéale pour faire avancer cette notion. Les temps ont changé. Il y a encore trop peu de gens qui ne comprennent pas ce qu’elle revêt. Lorsqu’ils entendent le mot impact, beaucoup de professionnels se disent immédiatement que cela va leur coûter de l’argent, alors qu’ils sont avant tout censés en gagner.

1 800 ENTREPRISES

Jusqu’à présent, l’Impact-Weighted Accounts Initiative (IWAI) a déjà publié les chiffres sur l’impact environnemental de 1.800 sociétés. Et plusieurs milliers suivront encore ce mois-ci.

Il s’agit désormais d’élargir cet horizon. Nos enfants n’ont plus envie de travailler pour des sociétés qui font du tort, ou d’acheter leurs produits.Les gestionnaires de portefeuilles savent qu’ils ne doivent plus se limiter à de simples profits, mais doivent aussi prendre compte de l’impact. Des sauts immenses ont été faits en technologie, en intelligence artificielle, en apprentissage par la machine, en réalité augmentée, en sciences de la vie, qui permettent de mesurer l’impact global dans une proportion inédite. « Rien n’arrête une idée dont l’heure est venue », comme l’écrivait Victor Hugo.

Votre constat est assez sombre pour la philanthropie directe. Dans votre ouvrage, vous indiquez d’ailleurs que seuls 144 organismes de philanthropie ont dépassé les 50 millions de dollars de revenus sur une période de 25 ans, contre 25.000 sociétés. Par ailleurs, vous n’employez quasiment pas les mots impôts ou taxation…

Dans l’ancien modèle, il était très difficile de lever 15 millions de dollars avec seulement des donations. Le fait de parler d’investissements, et de retour sur investissements, avec les obligations à impact social, peut permettre de changer d’échelle. Si vous aidez 5.000 personnes dans la pauvreté, vous savez que vous pouvez, avec ce nouveau modèle, en aider 15.000.

Pour la taxation, je crois en fait qu’elle est aussi nécessaire que la redistribution. Mais à la différence de Thomas Piketty, je ne pense pas que vous pouvez ainsi résoudre tous les problèmes sociaux.

Pour la taxation, je crois en fait qu’elle est aussi nécessaire que la redistribution. Mais à la différence de Thomas Piketty, je ne pense pas que vous pouvez ainsi résoudre tous les problèmes sociaux. Quel que soit le niveau de taxation des plus riches, vous ne pourrez pas atteindre la même capacité de changement offerte par la transformation des entreprises.

Quel serait l’outil idéal et transposable dans toutes les grandes entreprises ? Vous avez notamment évoqué un ratio coût environnemental / chiffre d’affaires…

C’est précisément cela, le futur. Un futur dans lequel il sera possible demesurer l’impact total d’une société par rapport à ses profits ou à ses ventes. Cet indice permettra non seulement d’anticiper la capacité d’une société à attirer les consommateurs, mais aussi à conserver ses actionnaires. Sur un temps long, les sociétés qui contrôlent le mieux leur impact sont celles qui réalisent le plus de profits. Il est possible demesurer le coût environnemental, mais aussi d’ajouter d’autres critères, comme la diversité, la différence de salaires entre les hommes et les femmes, autrement dit un ensemble d’éléments qui, en cas de déséquilibres, peuvent avoir un coût social.

Le tout est de réussir à mesurer l’impact, ce qui est nettement plus complexe que le calcul des ventes et des dépenses. Cela est-il vraiment possible?

La Business Harvard School a lancé l’Impact-Weighted Accounts Initiative (IWAI), conjointement avec le Global Steering Group on Impact Investment (GSG) et l’Impact Management Project (IMP). Jusqu’à présent,nous avons publié les chiffres sur l’impact environnemental de 1.800 sociétés. Ce mois-ci, nous espérons aussi publier l’impact environnemental de plusieurs milliers de sociétés.

De nombreux indices ou outils existent déjà, comme l’IWAI ou les B Labs. Faut-il les standardiser?

Ces différents groupes fusionnent et se complémentent. Ils ont tous créé une pièce d’un grand puzzle. La création de l’IWAI a enfin permis de voir l’image de ce grand puzzle et de définir une priorité: mesurer l’impact d’une société comme on mesure ses profits, afin de comparer chaque société. L’idée n’est pas juste de définir le numéro 3 en termes d’impact environnemental ou le numéro 7 en impact humain. Il faut donner le pouvoir aux gens de décider sur la base d’un indice.

Les investisseurs attendent maintenant un niveau de standardisation des normes permettant d’effectuer des comparaisons sûres entre sociétés.

Les IFRS (International Financial Reporting Standards), qui constituent la référence pour les sociétés cotées européennes, ont commencé à définir de nouvelles normes. La SEC (Securities and Exchange Commission), aux États-Unis, a fait une démarche similaire. Nous avons dépassé le stade où les investisseurs demandent plus d’informations. Ils attendent maintenant un niveau de standardisation permettant d’effectuer des comparaisons sûres entre sociétés. Nous pouvons faire un parallèle avec les années 1930, où il n’y avait pas encore de standards comptables pour les profits. Ils sont arrivés après les krachs de 1929 et 1933.D’ici 2023, nous disposerons d’une réglementation sur la transparence de l’impact social et environnemental. Nous nous situons à un tournant, que l’on peut qualifier de nouveau Bretton Woods. C’estune nouvelle frontière pour le capitalisme et la société.

Est-il vraiment souhaitable de mettre des chiffres sur le « Bien »?

Je ne crois pas du tout qu’il faille mettre des chiffres sur tout. Comme l’a dit Albert Einstein, « tout ce qui ne peut pas être compté compte, et tout ce qui compte ne peut pas être compté. »
Mais je pense quetoutes les choses qui nous affectent aujourd’hui, comme le changement climatique, la diversité, l’égalité économique et sociale, sont dans les mains des entreprises, pas des gouvernements. Et les investisseurs les utilisent comme des indicateurs de futures réussites. Ils adaptent donc leurs décisions en fonction de ces données et donnent la priorité aux entreprises qui veulent améliorer les choses.

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